Manfred de la Motte
Dialogue entre le sculpteur Friederich Werthmann et Manfred de la Motte

 
M. de la M.- En Allemagne, il semble si difficile d'unir, en un mariage heureux, la sculpture au parti architectural, qu'on peut se demander, si un jeune sculpteur, a interet a etudier les problemes qu'on lui soumet, alors qu'il n'ignore rien des difficultes qui l'attendent dans ses rapports avec les autorites, les entrepreneurs, voire meme les architectes.
 
F.W.- Oui, bien sur; cependant, une plastique, mieux encore qu'une peinture, a sa place, toute indiquee, dans un cadre architectural.
 
M. de la M.- Dans ces conditions, ne presentez pas de plastiques dans une exposition ou le cadre ne permet pas de les mettre en valeur.
 
F.W. - Vous avez raison, encore que certaines ceuvres puissent se passer d'un cadre architectonique, et attirer le visiteur...
 
M. de la M.- ... par leur caractere propre, le rayonnement qui en emane ?
 
F.W.- Parfaitement! Je dirai meme qu'une salle « banale »...
 
M. de la M.- ... une salle d'exposition, par exemple!...
 
F.W.- ... prend un certain caractere du fait cies sculptures qu'on y dispose adroitement.
 
M. de la M.- C'est tres vrai, et il m'a ete donne de le constater au cours de quelques expositions ou la presentation etait particulierement soignee. Mais, n'y a-t-il pas, pour le sculpteur, une difficulte quasi insurmon. table a realiser, dans un cadre determine l'oeuvre qui rendra possible une symbiose «architecture-plastique » ?
 
F.W.- Le probleme est assurement delicat; mais, «a vaincre sans peril on triomphe sans gloire ». Ia difficulte est, a la fois, un excitant et un stimulant; je pense meme que I'obligation d'utiliser un cadre preetabli facilite, dans une certaine mesure, le «demarrage», et permet au jeune artiste de se consacrer entierement a son oeuvre.
 
M. de la M.- Dans le « Trigon » que vous venez de realiser ici-meme, vous a-t-on impose un theme prealable, une tache precise ?
 
F.W. - Pas du tout. Au debut, l'architecte m'a simplement demande d'examiner le terrain a batir, et m'a confie les plans, pour m'aider a concevoir une decoration pour la cour interieure.
 
M. de la M.- 11 a donc fallu, tout d'abord, realiser un modele ?
 
F.W. - Oui, et plusieurs maquettes. Dans ce but, je me suis meme inspire de quelques plastiques moins recentes.
 
M. de la M.- Tiens, pourquoi ?
 
F.W.- Parce que ce « Trigon » reprend un theme qui, depuis fort longtemps, m'est particulierement cher. Savez-vous qu'il existe, icimeme, pres de sept a huit « Trigon-precurseurs » ?
 
M. de la M.- Comment l'expliquez-vous ?
 
F.W.- Je conçois cette realisation comme un triangle, si j'ose dire. En le posant sur sa pointe, je cree une image dynamique, mouvante, qui s'oppose a l'architecture statique, immuable, qui l'environne.
 
M. de la M.- Le choix du materiau est-il decisif ?
 
F.W. - Oui. En effet, chaque materiau a ses propres caracteristiques. Je dois rester clans la ligne generale de l'architectonique, ne pas la contrarier, et cependant, feire ressortir l'idee de base qui preside a cette realisation. J'ai donc execute « Trigon » en acier inoxydable.
 
M. de la M.- L'aspect brillant - je dirais presque etincelant - des tubes en acier fin et des cornieres, ne vient-il pas gener votre propre conception du mouvement destine a s'integrer dans un cadre statique ?
 
F.W. - Quelquefois oui! Aussi, ai-je du supprimer ce vernis exterieur, surtout aux points de jonction et de raccordement.
 
M. de la M.- Au fond cette sorte de discontinuite dans l'aspect invite, en quelque sorte, le visiteur a examiner la plastique sous cortains angles, et a ne pas chercher a embrasser l'ensemble d'un seul coup d'oeil.
 
F.W.- Oui, et meme dans des oeuvres plus modestes, je cherche toujours a rompre avec une technique trop parfaite...
 
M. de la M.- ...autrement dit, chacune de vos realisations ne conserve que le caractere inherent au cadre qui l'entoure?
 
F.W.- C'est juste, et cette conception presente pour moi un interet tout particulier, a telle enseigne que, dans certaines plastiques « Ballung Brehm », pour ne parler que d'elle-j'ai deliberement choisi une structure individuelle, tres morcelee, gardant ainsi la possibilite d'ajouter, d'assembler, de composer et d'analyser.
 
M. de la M.- Ainsi, en resulte-t-il une impression de mouvement spherique continu, egalement en direction, qui vous plonge immediatement dans l'ambiance et vous fait participer a la vie propre de l'oeuvre.
 
F.W.- J'imagine qu'une interruption voulue, une soudure appropriee, n'ont de valeur que dans la mesure ou le spectateur en tire luimeme les conclusions qui s'imposent ?
 
M. de la M.- Sans aucun doute! Le seul travail, I'action tangible, ne suffisent pas tou. jours. Notez aussi, que le grand relief bilateral de l'immeuble de la « British American lobacco Company » a Hambourg, a ete concu de facon analogue.
 
F.W.- Un lien continu entre les differents composants - au nombre desqueis figurent les formes dites negatives, resultant d'une coupe au chalumeau - realise une cioison harmonieuse entre deux locaux interieurs distincts. S'il est vrai que la structure des diverses parties elles-memes ne rend pas toujours cette execution perceptible, leur ensemble apparait cependant comme une separation courant a travers le local.
 
M. de la M.- Ainsi se cree-t-il une liaison entre des travaux de nature tres differente, liaison que l'on ne comprend vraiment qu'en scrutant chaque detail.

In: Aujourd‘hui, No.31, Mai 1961, S.20-21